Lymia Vitte (France - La Réunion)

Lymia Vitte en répétition avec Jean-Noël Cuenod

29 08 2024

Hè Lymia !

Après avoir résidé quelques jours à la maison du Goupillou en version allégée tapas, début mai, Lymia Vitte a vite retrouvé ses marques pour une durée plus longue. Comédienne et chanteuse, la jeune femme arriva avec un travail en cours qui lui grignotait le cerveau. Les premiers jours ne furent que doutes, remises en cause et montées d’angoisse qu’il fallait couper net à grands coups de serpette. Vu de l’extérieur, ce malaise ressemblait à « n’a-t-elle pas eu les yeux plus grands que le ventre ? » Et le cas échéant l’ambition mise dans ce travail d’écriture, nouveau pour elle, n’était-il pas trop ambitieux ? D’autant plus que le spectacle final est envisagé en chanson, avec l’appui de musiciens, de projections de vidéos et d’une mise en scène soignée. Des semaines d’enquêtes filmées sur l’île de la Réunion, des gigas de documentations, des enregistrements, des poésies en veux-tu en-voilà, des cartes postales géantes... Voilà qui remplit un ordinateur. Décidément, la résidence n°2 était bien plus élaborée que la n°1 qui ne fut qu’un repérage...

Après ces chaotiques premiers jours, Lymia qui sautillait sur un fil sans filet retrouva zénitude et large sourire. Elle, comme tant d’autres, sous-estima les journées d’adaptation. Changement de rythme, de type de travail, d’air, de paysages, de lit ! Beaucoup de changement après seulement 2h15 de TGV. Quand la chambre fut aménagée à son goût, les p’tites courses effectuées, les premiers échanges avec sa co-résidente Hella Feki réussis... elle se remit à l’écriture, triant avec entrain sons, images, et notes éparpillées. Soulagement.

Mais, au fait, de quoi parlera son futur spectacle Parabolers. Bien qu’il ne fut toujours qu’en cours d’écriture, c’est la question à laquelle Lymia Vitte répondit lors de sa « sortie de résidence » à Beaurecueil – Forge de la poésie en jouant avec les oxymores : la poésie et la brutale réalité ; la filiation et l’amitié ; un père et un parfait inconnu ; parfait inconnu qui devient sujet de fascination ; père clivant ne parvenant pas à être le ciment familial ? Tant de pistes...
Des parcours chaotiques de ces deux hommes, Lymia tisse une pièce où l’intime et l’universel cheminent sur des voies parallèles, proches et pourtant si éloignées. L’intime est la mort de son père, le désarroi tragicomique dans lequel plongent elle et ses sœurs. L’universel est Alain Peters. Poète, chanteur réunionnais. Connu et vénéré de tous pour sa contribution décisive au Maloya, abandonné de tous devant son incapacité à s’éloigner de ses démons. Re-connu et re-vénéré par certains qui refusent de céder au chantage des dits démons et ne voient en Peters que le talent. Toujours honnis par d’autres qui ne perçoivent de lui qu’un vagabond peu respectueux de la culture traditionnelle réunionnaise, créole et de l’Océan indien.

Pourquoi universel ?
N’est-il pas universel d’être incompris, lâché par les siens, de décrocher, de se perdre ? Cela vaut pour les artistes qu’on finit par dire maudits, mais cela ne vaut-il pas pour les communs des mortels. Les artistes ont « l’avantage » de laisser des traces, des preuves, des empreintes de leur face brillante. Même si dans le cas d’Alain Peters et du travail de Lymia Vitte, il est question d’un enregistrement sur cassette perdu. Une cassette qui, qui sait, aurait peut-être redoré le blason du maudit Peters si elle avait été entendue ! Supposition tout à fait personnelle.

Lymia Vitte part en quête de cette cassette, rencontre et filme les compagnons de route de Peters, échange des SMS parfois croquignolesques avec ses sœurs sur le devenir des cendres de leur père défunt... et aussi, et surtout Lymia chante.
Que le premier spectateur – sans oublier les spectatrices – présent à Beaurecueil – Forge de la poésie, qui n’a pas fondu devant la voix et la présence de la jeune femme me lance le premier boulet. Seulement accompagnée de la guitare de Gaël Petetin, Lymia incarne la langue créole des poésies de Peters. Entendre Lymia, c’est mieux comprendre pourquoi le Maloya est reconnu Patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Lymia Vitte hisse le genre à la hauteur du Blues, du Fado, de la Saudade de Cesaria Evora. Je m’emballe, me rétorquerez-vous. Non, pourquoi pensez-vous que le Hall de la chanson et le Festival Rumeurs urbaines soient déjà partenaires de l’œuvre en écriture. Les Goupils et les Forgerons de la poésie sont aux anges de faire partie de cette aventure, poétique, mais pas que !

Message personnel à l’attention de Lymia Vitte... hè Lymia, tu reviens chanter quand tu veux ici !


Gael et Lymia, dans l’intimité du Maloya