21 06 2024
Grande, élancée, coiffée de longues tresses, chargée comme un âne, selon ses propres mots, Laetitia Ajanohun a posé ses valises trois semaines à la maison du Goupillou. Elle continuera ses pérégrinations littéraires jusqu’à la fin août. La jeune femme était il y a quelques semaines à Kinshasa pour faire vivre une collaboration « vieille » d’une quinzaine d’années avec le Tarmac des auteurs de la ville. En mars, elle posa son clavier à la Villa Valmont, résidence renommée en Bordelais. Laetitia Ajanohu n’est pas une écrivaine de salon ! Elle écrit animée par une bougeotte chronique. Ici, elle s’est fixée une double tâche : mettre un point final à une pièce de théâtre presque bouclée et poursuivre l’écriture de son premier roman, ZANWONNANKOU La Nuit a oublié de tomber. D’ici quelques jours après avoir trouvé ses marques, Laetitia nous en dira davantage sur ses écrits en progression, son rapport avec le Bénin, pays de son père... La curiosité n’est pas un défaut...
20 07 2024
Ecrire dans une période chahutée
La météo peu estivale n’a pas empêché Laetitia Ajanohun de profiter de l’ombre du marronnier qui domine la maison. Ordinateur, bonbons à la menthe, mug de thé au jasmin... gazouillis des oiseaux et vent dans les bambous. Décors en place. Ses mots sont prêts pour le voyage. En 2013, l’autrice publiait, aux éditions Lansman, une courte pièce titrée « Les mots sont manouches ». Les mots et le voyage comme outils de la compréhension du monde. Déjà. Une décennie plus tard, si « les choses » ont évolué, elles n’ont pas fondamentalement changé. Laetitia Ajanohun court toujours après les mots qui naissent, les mots de la rue, les mots qui accompagnent la vie. Ne parlant pas de langues régionales ou nationales africaines, elle s’attache aux sonorités, au rythme des phrases entendues deci delà. Le son des langues françaises.
De là, vient son compagnonnage avec Kinshasa, Kin pour les intimes. Une ville « punk » , comme elle la qualifie, qu’elle fréquente depuis une quinzaine d’années où elle accompagne Israël Tshipamba le patron du festival Ça se passe à Kin et du Tarmac des auteurs. Si la jeune femme y anime des ateliers d’écriture, elle y capte aussi de la matière à écrire. « C’est une ville qui ne s’offre pas, il faut aller la chercher ! », confie-t-elle. Savoir choper au vol les mots claqués par les gamins des rues, les chégués. L’invention est au coin de chaque rue.
Dans les cercles universitaires autant qu’au café du commerce, « on » vante l’esprit vif et créatif de la jeunesse africaine. Comme si celles de Marrakech, Nairobi, Johannesburg ou Dakar portaient des usages communs. Laetitia, elle, fait une comparaison plus raisonnable. Kinshasa et Brazzaville, les deux rives du fleuve Congo. La dramaturge y voit une différence que seuls les stigmates de la colonisation peuvent expliquer... ou tenter d’expliquer : le rapport à la langue française est moins formel à Kin, le colonisateur belge avait lui-même un rapport à la langue moins corseté que les Français. Côté Brazzaville, elle y sent plus de conventions, de respect dirait-on ? Peut-être pas jusque-là, juste Brazza n’est pas punk, elle !
Naissance d’une écriture
Machine à remonter le temps. Enfant, Laetitia Ajanohun était encadrée par deux figures formatrices. Son grand-père maternel, journaliste qui n’aimait rien tant que raconter des histoires, beaucoup d’histoires. Il écrivait des fictions sans héros, mais toujours avec une sorte de morale dont les personnages s’appelaient « les Croquignols ». On imagine la délicieuse complicité entre les deux extrémités de la famille. À 180°, se tenait un père qui goûtait peu qu’on parle pour ne rien dire. Une idée devait s’exprimer clairement sinon mieux valait se taire. La gamine portée par un irrépressible besoin de s’exprimer se tourna vers l’écriture, la fiction. Contrairement à beaucoup d’enfants et d’adolescentes, elle ne se réfugia pas dans l’écriture d’un journal intime. La fiction l’aida et l’aide toujours à penser le monde, à se penser.
Tout s’emboîte !
Alors que ses frères s’orientent vers la musique, Laetitia choisit le théâtre et la danse. À 7 ans, elle entre au Conservatoire de Région. Pas facile quand on est réservée, limite timide. Pourtant son désir et son plaisir de jouer, dire, s’exprimer est plus grand que le stress qui chemine en elle. Parcours où on lui apprend à effacer les singularités de son expression, même celles régionales de Liège ou elle habite. Curieux cours de diction ! Peut-être, sans doute, est-ce ce qui la pousse aujourd’hui à découvrir les particularités de toutes les langues françaises, du continent africain au Canada. Si elle concrétise ces étonnements et intérêts pour cette diversité par le théâtre sous toutes ses formes, elle s’est lancée dans l’écriture d’un premier roman. Une écriture qu’elle pense beaucoup plus précise, définitive, alors qu’au théâtre le fait qu’un metteur en scène et des comédiens prolongent la création permet une écriture plus ouverte. La pièce est confiée à une équipe qui va la modeler à sa manière avant de toucher le public, le roman lui est en connexion directe avec le lecteur. Un face-à-face déterminant.
Ici, à la maison du Goupillou, Laetitia a mis un point final à une pièce de théâtre. Tache expéditive tant le travail était avancé. Puis, elle prit sa casquette de jeune romancière. Elle sait déjà qu’elle retouchera les chapitres écrits ici pour une raison bien peu littéraire ! Le contexte. Oui, le contexte politique et sociétal de ce mois de juin en France fut, lourd, angoissant et porteur de multiples interrogations. Cette France coupée en deux ou en trois blocs qui refusent les pas de côté pour s’entendre, les radicalités portées par certains, les vociférations des uns et des autres ne furent pas propice à une écriture « légère ». Comment s’extraire de l’actualité quand celle-ci fait office de tenaille et de marteau à la fois. Ce trouble influença l’écriture de Laetitia Ajanohun, elle en est consciente, mais qu’importe le roman avance...
Étonnamment, la dramaturge à tiré avantage pour le final de l’écriture de sa pièce. La thématique s’adaptant mieux à la crise du moment. Comme quoi, il faut savoir faire feu de tout bois !