Hella Feki (Tunisie - France)

Hella Feki "révise" ses notes et ses lectures.

13 08 2024

Une résidence, c’est quoi ?

À la question que certains se posent : « c’est quoi une résidence, ça sert à quoi ? » Question parfois posée par des personnes censées connaître le principe sur le bout des doigts mais que la vie a transformé en comptable alors qu’elles furent cultureuses... Même sous la torture, je ne donnerai pas la liste de noms...
Revenons aux moutons, « c’est quoi une résidence ? » Un lieu de liberté, d’échanges devant une tablette de chocolat ; des piles de livres qui se multiplient ; des balades en forêt pour aérer la tête et éviter les phlébites ; une romancière et une dramaturge qui se croisent vers 5h du matin, l’une se couche, l’autre se lève. Ne reconnaîtront pas Hella et Lymia ?

Une résidence d’écriture, c’est aussi des questions existentielles « genre  » : «  tu crois qu’on peut encore manger les pâtes, elles ont trois jours ?  » Des séances de bricolage improvisées : « j’ai pas fais exprès, j’ai cassé une corde à linges. Je suis désolée.  » Sans parler de moments gênants où de retour de balade automobile, une résidente ne se rend compte que les routes tournent en Dordogne que lorsque son estomac frôle ses amygdales ! Une résidence, c’est la vie ! Et la vie des résident(e)s c’est d’écrire, lire, relire, jouer, chanter... dans la convivialité et le respect de chacun.

Être en résidence c’est aussi bien préparer sa sortie. Comme un(e) gymnaste. Bien souple, rassuré(e) par le travail effectué qu’il faudra encore et toujours améliorer. A la maison du Goupillou, les sorties de résidence ont lieu chez les amis de Beaurecueil – Forge de la Poésie. Souvenons-nous du rituel de l’eau poétiquement proposé par Kouam Tawa ou de la lecture tout en retenue et émotions d’Elisa Shua Dusapin de son roman en cours. Car la plupart du temps, les œuvres sont en cours. Il en faut du courage pour oser affronter le public du Goupillou en poésie lorsque les fondations ne sont pas complètement stables, que le doute envahit le cerveau et l’épiderme, que la lecture musicale se fait sans le musicien, qu’il manque une prise Jack ou Pierre ?

Voyons la représentation de la sortie de résidence comme une joie. Le trac fait partie de la joie. Joie de proposer 50, 70, 90% de son travail. Celui qui vient autant des tripes que de ses connaissances. Joie de voir des ami(e)s venir de loin pour apporter leur pierre à l’édifice. N’est-ce pas Loïc Hervouet ? Parler de Madagascar et de sa reine en exile sans Loïc Hervouet eut été une faute de goût. Hella Feki qui, dans son prochain roman, s’attaque à ce sujet, a trouvé là un interviewer complice aux petits oignons. Comme elle a pu compter sur Lymia Vitte pour porter la voix de la Reine. Divine lecture a-t-on entendu ! Joie.

Pourtant, ne nous emballons pas, derrière cette joie et le ton décalé de ce texte ouvertement simpliste se cache du travail. Qu’il soit diurne ou nocturne, il est là derrière chaque mot, chaque réponse, chaque fignolage en vue...
Le roman d’Hella Feki est programmé pour la rentrée littéraire 2025. JC Lattès, le même éditeur que pour son « Noce de jasmin », veillera au bon accouchement.


Hella Feki, Loïc Hervouet et Lymia Vitte... bientôt les trois coups !

15 07 2024

Hella Feki

Après le succès de Noces de jasmin*, la maison du Goupillou a le plaisir d’accueillir la romancière Hella Feki. Elle poursuit ici l’écriture de son prochain roman qui aura pour sujet la Reine malgache Ranavalona III, qui depuis son exil à Alger, fit une escapade à Tunis. Hella Feki est née à Tunis où elle passa les 20 premières années de sa vie. Globe-trotteuse de l’enseignement de la littérature française et du théâtre – Sénégal, Inde, Équateur, France, Madagascar – l’Histoire et le romanesque sont ses inspirations profondes. (Hella Feki reviendra à la maison du Goupillou en octobre – novembre pour mettre un point quasi final à son roman malgache. Rendez-vous à la rentrée littéraire 2025 pour le lire, une tournée de rencontres avec les publics est déjà programmée sur la Grande Ile.)
* Éditions JC Lattès

Gloutonne d’expériences

Il ne viendrait à l’idée de personne de résumer Hella Feki en une poignée de mots et quelques adjectifs bien sentis. Inaccessible tache. Cette jeune romancière qui juilletise à la maison du Goupillou est une pétillante tornade. Un savant mélange de voyageuse au long cours, d’enseignante tout terrain et d’autrice installée dès son premier coup. Hella Feki est une femme pressée de savoir prendre son temps, qui ne rechigne ni à se mettre dans des situations périlleuses ni à s’exposer à la critique. Une pétillante tornade, dis-je !

Des preuves, direz-vous ?
Son cœur bat pour l’enseignement de la littérature. Attention, pas du style, « Madame Feki, ça fait vingt ans qu’elle enseigne dans le même collège, avec les mêmes cours plus ou moins rafistolés et rafraîchis au fil des réforme de programmes. » Pas du style à se satisfaire du PPMVPE, le Plus Petit Minimum Vital Pour Enseigner. Sans doute sa mère, enseignante de français, lui a-t-elle inculqué les bonnes bases, rigueur et renouvellement. Et puis, Madame Feki est une globe-trotteuse de l’enseignement.

Mumbay et Chennaï ? Pourquoi pas ? Jeune prof, la voilà partie se frotter à un des pays les plus complexes, un de ceux qui rejettent instantanément les moins préparés à affronter les castes, les religions, les enfants, les invalides, les foules, les vaches, les singes, les éléphants et sans tomber dans le parfait lieu commun, la pauvreté et la richesse qui s’opposent comme des boxeurs dans un terrain vague. Sans règles. Mais Hella Feki, s’adapte. Même à des logeuses particulièrement à cheval sur les règles autoritaires qu’elles imposent à leurs locataires...

Région parisienne... Dans l’école d’un hôpital psychiatrique. Pourquoi faire simple quand on peut faire enrichissant ? Trois années, confrontée à la responsabilité d’être face à des jeunes bourrés de qualités, mais perturbés par des démons intenables. Les discussions lors des réunions entre le personnel soignant et l’équipe éducative lui démontrent que dans certains cas, il faut savoir établir une chronologie des priorités bien éloignée des œuvres de Camus, Yourcenar et Char. Que faire avec cette demoiselle gantée qui refuse d’entrer dans la classe de peur que ses camarades ne la contaminent avec leurs folies et dingueries, elle qui se considère, évidemment, tout à fait équilibrée ? Et que faire avec ce gamin à l’âme un brin gothique qui fait passer des petits papiers à sa prof lui annonçant qu’il va se suicider ?

Dakar ? Ho oui ! Allez, hop 4 ans de bonheur professionnel et des conditions de vie qui frôlent la perfection. Si elle se donne à fond dans sa pratique de l’enseignement, si elle fait rencontrer écrivains, poètes et penseurs aux élèves du Lycée français, elle n’oublie pas de nourrir son imaginaire et ses connaissances. Découverte indispensable du pays et aussi des fonds marins. Pas en touriste ! Peu à peu, la jeune femme apprivoise la plongée jusqu’à passer tous les niveaux, hauts les palmes, et obtenir le diplôme qui lui permettrait, si elle le souhaitait, d’accompagner des plongeurs moins expérimentés. Quand on est prof, on le reste !

Madagascar ? Tana ? Pourquoi pas ? Là, grosse baffe. Aucun regret, pas le style de la maison Feki. Mais grosse baffe quand même. Tana, plus compliqué que Mumbai, selon elle. Sans doute, cette appréciation vient-elle du manque total de points de repère dans lequel elle se trouva. En Inde, son éducation tunisienne donc musulmane, lui permit de comprendre, d’anticiper des réactions et des agissements... Là, heureusement qu’elle découvre le livre-guide « Comprendre les Malgaches » écrit par le malgachologue Loïc Hervouet. Heureusement que le proviseur du lycée français et bon nombre de ses collègues furent de solides compagnons de route. Heureusement que le peuple malgache – pardon pour cette stupide généralité – est profondément pacifique. Heureusement car, comprendre les Malgaches, quand on débarque un beau matin n’est pas un long fleuve tranquille...
Mais comment ne pas tomber amoureuse des paysages, des rizières, de l’humour, de la bonne éducation des gamins, des fonds marins et des balades à moto ! Après la plongée, Madame Feki se mit à la moto. Passer un permis à Mada, une expérience en soi !

Bien entendu, il y a le revers de la médaille. Madagascar n’est pas un paradis, ça se saurait. S’y expatrier demande une capacité d’adaptation rapide faute de quoi les travers s’avèrent difficiles à avaler. Pour parodier l’humoriste et cinéaste français Jean Yann, à Mada, tout le monde, il est pas beau, tout le monde il est pas gentil. Il fait mal au ventre de voir bon nombre d’expats, y compris enseignants, s’échanger les contacts de gamines juste pubères. Il est choquant de découvrir que l’enlèvement de fils et filles de riches entrepreneurs indiens est monnaie courante. Il est pénible de devoir faire garder sa maison nuit et jour faute de quoi les cambriolages se renouvellent...

Dans toute cette complexité, Hella Feki a zigzagué, appris, ri, pleuré...
Elle y vécut la période dite COVID...
Elle y écrivit son premier roman, Noces de jasmin...
Et surtout, elle y a trouvé l’inspiration de son deuxième roman : « De fil en anguille, je tombais sur une photographie de la Reine Ranavalona III à un festival de théâtre dans les ruines romaines de Carthage. Celle-ci était datée de 1907. Le texte qui accompagnait cette photographie était extrait d’un récit de voyage de Myriam Harry. Elle était présentée comme une apparition. C’est alors que je décidais de fouiller dans la mémoire du pays, en passant des heures dans les archives nationales de Tunis. Je découvris peu d’éléments sur la Reine Ranavalona III, mais les quelques articles suffirent à me plonger dans son histoire et d’imaginer ce qu’elle avait pu vivre à Tunis. » Hella Feki


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